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Chronique
de livre
Vandana Shiva, "La Guerre de l'Eau ; Privatisation, pollution
et profit".
Paris, l'Aventurine, 2003. 162p, 13€.
Dans
cet ouvrage au style direct et dénonciateur, habituel de l'auteure,
Vandana Shiva dénonce les politiques meurtrières qui agissent
pour transformer l'eau en marchandise : c'est le droit d'utiliser l'eau par
toutes et tous contre le droit de la posséder par quelques un-e-s.
À force d'exemples et d'arguments, elle dénoue les ficelles
d'une situation complexe, dont nous ignorons le plus souvent jusque l'existence
même. Même si l'Inde - l'auteure est Indienne - est au centre
de ce livre, les éléments avancés nous concernent, ne
fut-ce que parce que notre mode de vie occidental est basé sur l'accaparement
des richesses d'autres pays : "un mode de vie qui permet à
20% de la population mondiale [donc nous] d'utiliser 80% des ressources de
la planète prive 80% de la population de leur juste part des ressources".
L'eau manque en Inde et dans des dizaines de pays à cause des besoins
des nouvelles méthodes de cultures : irrigations à grandes échelles,
introductions de nouvelles espèces avides d'eau (contrairement aux
espèces locales, adaptées à la sécheresse) et
vouées à l'exportation (coton, sucre
).
L'eau manque de plus en plus aussi alors que, paradoxalement, des sommes énormes
sont investies dans des installations hydrauliques ultra-modernes, mais "les
puissantes technologies d'extraction n'aboutirent pas à une utilisation
optimale de l'eau, mais seulement à son épuisement".
Et pendant que quelques grosses firmes privées et l'État "gèrent"
les ressources en eau, les associations millénaires de villageois-e-s
sont déclarées illégales et leurs revenus (cotisations
collectives) sont détournés. L'eau laissée à son
libre court perd sa valeur et est considérée, d'un point de
vue mercantile, comme gaspillée, or l'eau non exploitée joue
au contraire un rôle essentiel dans l'entretien de processus écologiques,
comme la recharge des nappes phréatiques.
La Banque mondiale, le FMI, Suez-Lyonnaise des Eaux et Vivendi Environnement
sont en tête d'affiche des groupes épinglés par Vandana
Shiva pour leurs ravages écologiques à l'échelle planétaire
et en tant qu'acteurs majeurs de la "Guerre de l'eau". Des
firmes comme Coca-Cola profitent largement de la pénurie d'eau potable
et multiplient ventes d'eau en bouteille et sodas. Ces entreprises ont donc
tout intérêt à soutenir la crise de l'eau, qui "est
une crise écologique dont les causes sont commerciales mais à
laquelle il n'y a pas de solution marchande". Selon Vandana Shiva, la
solution serait d'appliquer une "démocratie écologique",
et elle nous rappelle que la démocratie ne se limite pas au rituel
du bulletin dans l'urne, mais que c'est le pouvoir qu'ont réellement
les populations de "donner forme à leur destin".
Et elle ponctue son ouvrage de luttes locales exemplaires : au Rajasthan une
mobilisation a permis la restauration des réservoirs traditionnels,
au Kerala le lait de coco est remis au goût du jour au détriment
du Coca, les habitant-e-s d'Argentine refusent de payer leur facture à
la Lyonnaise des Eaux qui avaient doublé les tarifs et diminué
la qualité de l'eau - l'entreprise a dû quitté le pays
!
Autant de leçons de courage et de déterminations à suivre
"Garçon, un Coca s'il
vous plaît ! Ce n'est quand même pas de ma faute si Coca existe
!" ni, très certainement, si
Coca exploite ses salarié-e-s, soutient le commerce de l'eau au détriment
de l'eau potable accessible à toutes et à tous, et pollue la
planète à grand renfort de cannettes en aluminium
"Ce
n'est quand même pas de ma faute" est une petite phrase anodine,
une petite pensée assassine, puisqu'elle cautionne tous les désengagements
et toutes les irresponsabilités possibles et inimaginables à
travers le monde ! Ça sonne un peu comme : "Si ce n'est pas moi qui
le fait, ce sera quelqu'un-e d'autre
", sans envisager que
ce ne pourrait être personne si tout le monde (donc soi-même aussi
!) disait "non". Avant de commander un Coca, en France ou
ailleurs, songeons quelques instants à la politique de la firme et
aux luttes menées pour la vie et contre elle
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