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L'esprit
de l'association
Tsampa équita & le commerce
équitable
Aujourd'hui, alors que le commerce équitable tend à percer le
bout de son nez après une trentaine d'années d'existence, c'est
aussi l'heure des questions. Peut-être, comme nous, avez-vous déjà
lu quelque article ou participé à une discussion à ce
sujet ; c'est en tout cas à la suite d'échanges et de lectures
que Tsampa équita estime intéressant et opportun de rendre compte
de ses positions et réflexions.
Lors de sa création, Tsampa équita a choisi de soutenir
le commerce équitable, afin que, ici ou là-bas, les petits groupes
de producteurs puissent vivre de leur travail. Un article pour en faveur café
équitable en provenance du Chiapas, au Mexique, a été
diffusé dans le journal n°1. Aujourd'hui, Tsampa équita
mène une action afin d'importer de Macleod Ganj (Himalaya indien) des
articles en papier recyclé et de les vendre en France de façon
équitable.
Ce projet est issu de la demande locale de Mr. Tsering Kyi, directeur
du Tibetan Welfare Office (TWO) de Macleod Ganj,
que nous avons rencontré en avril 2002. Le TWO comprend une salle
d'information sur les déchets et l'environnement, un " Green
Shop " (boutique écologique) où on peut acheter,
entre autres, de l'eau filtrée et rapporter ses piles usagées,
une bibliothèque, des conférences, des débats et
des fêtes
Le TWO organise le tri sélectif à
Macleod Ganj, il récupère et revend plus de 20 tonnes de
déchets par an. Un atelier papier recyclé est le fer de
lance du lieu, seul centre écologique à des centaines de
km à la ronde. Le personnel du TWO, soit une trentaine de personnes,
est quasi uniquement composé de réfugié-e-s Tibétain-e-s,
dont certain-e-s sont en difficulté sociale. Le centre, où
l'ambiance est bonne et le travail détendu et créatif, joue
pour elles et eux un rôle socio-économique de premier ordre.
Rappelons que les réfugié-e-s Tibétain-e-s ne possèdent
pas de terre en Inde. Beaucoup sont au chômage, les autres travaillent
dans la restauration, les boutiques de souvenirs, à la création
d'artisanat, sur les chantiers
Le TWO fonctionne grâce à des subventions (pays occidentaux et
Inde), à la vente des déchets aux entreprises de recyclage et
à la vente des produits de l'atelier papier recyclé.
Celui-ci produit des carnets de formats différents, du papier à
lettre et des enveloppes. 80% des achats est réalisé par les
touristes, dont le nombre est impor-tant et même croissant (rappelons
qu'à Macleod Ganj résident le Dalaï lama et le gouvernement
tibétain en exil). La production est supérieure à la
demande, et c'est pour écouler ces stocks d'invendus que Mr. Kyi nous
a demandé s'il ne serait pas possible de créer un marché
en Occident. L'idée nous a semblé intéressante, et bien
entendu inconcevable hors le commerce équitable.
Mais deux questions se posent par rapport à ce projet : d'une
part, pourquoi importer des articles qui peuvent être fabriqués
(sinon fabricables) en France ; et quel sens cela a-t-il d'importer des
produits écologiques ? C'est-à-dire que nous devons nous
poser la question de l'incohérence de transporter (= consommation
d'énergie fossile polluante et génératrice de conflits)
un produit écologique (= sauvegarde de l'énergie). Dissocions
ces deux problématiques pour mieux y répondre, même si
elles sont évidemment liées.
S'il existe déjà sur le marché français
de beaux carnets en papier recyclé, leur origine reste souvent (pour
ne pas dire toujours !) mystérieusement floue : " Népal ",
" Chine ", " Himalaya ", lit-on souvent,
et les boutiques qui les proposent à la vente ne sont guère
réputées pour être des adeptes du commerce équitable
- malgré un jeu d'apparences parfois élaborés sur les
concepts prometteurs de voyage, de découverte et de nature. Nous pensons
que proposer en concurrence via les réseaux du commerce équitable
des carnets ou des feuilles de correspondance en papier recyclé et
dont on est certain que " fabrication " ne rime pas avec
" exploitation " a son intérêt.
Et quand bien même des carnets similaires seraient produits en France
(ce qui n'est pas encore le cas à notre connaissance), nous ne pensons
pas que cela doive signifier la fin de ce projet : le TWO n'est pas en
mesure de produire autre chose que ces articles en papier recyclé,
et le succès de leur vente est directement synonyme d'autonomie financière
pour le centre. Favoriser celle-ci n'est-il pas plus constructif que de lui
attribuer uniquement des subventions, ce qui, dans ce cas surtout où
une autre ressource de revenu est possible et souhaitée par les producteurs,
relève de l'assistanat ? D'autant plus qu'il semble très
difficile d'augmenter sensiblement la vente locale : les produits concernent
indéniablement certains usages, comme la correspondance ou les cadeaux,
ce sont de " beaux objets ". Leur prix est trop élevé
pour remplacer, par exemple, l'usage courant des cahiers scolaires (n'oublions
pas cependant que 20% des achats sont réalisés par la population
locale) : un cahier scolaire vaut à peine Rs.10 ; les carnets
du TWO coûtent en moyenne dix fois plus cher. C'est peut-être dommage,
la " démocratisation " du papier recyclé
étant évidemment souhaitable. Mais les modestes moyens, la fabrication
totalement artisanale du TWO ne lui permettent pas de fabriquer des cahiers
bon marché qui pourraient servir en classe. D'autre part, il est peut-être
culturellement inconcevable, autant en France qu'en Inde d'ailleurs, qu'un-e
élève prenne ses leçons sur d'aussi beaux carnets ;
autrement dit, même à un prix vraiment moindre, ces carnets resteraient
réservés à certaines circonstances particulières.
Notons quand même que les enveloppes en papier recyclé du TWO
coûtent à peine plus cher que les autres. Les produits recyclés
se trouvent au Green Shop et sur les nombreux stands de rue tenus par des
Tibétain-e-s ou des Indien-ne-s, qui achètent des lots d'articles
au TWO et les revendent en se faisant une marge. De nombreuses personnes extérieures
au TWO ont ainsi un moyen de survie grâce à son existence. La
situation actuelle du TWO est néanmoins que sa production est supérieure
à ses ventes.
La question du transport, de l'écobilan, est également intéressante.
Effecti-vement, la phrase " importer des produits écologiques "
contient une incohérence assez flagrante. Importer des patates cultivées
" bio " finit par en faire un produit bien peu écologique,
et est-ce vraiment nécessaire de consommer des fruits ou légumes
hors-saison, même " bio ", s'ils viennent d'Argentine
ou du Maroc ?! " Elles ont fait plus de 10 000km ",
m'a dit fièrement - et à mon grand dépit - le vendeur
d'une petite boutique bio à propos de poires, en mars dernier.
Mais, pour en revenir à notre projet, dans ce cas précis, ne
vaut-il pas mieux accepter cette regrettable incohérence si elle permet
au TWO de se développer de façon plus autonome ? Plus concrètement,
le transport, négatif aux niveaux écologiques et énergétiques,
d'une palette d'articles ne vaut-elle pas l'impact positif, socialement et
économiquement, sur ce centre écologique ? Car il ne s'agit
pas non plus pour Tsampa équita de faire des centaines de transports !
Mais la même question du transport se pose évidemment pour tous
les produits du commerce équitable. Prenons l'exemple classique du
café. La seule façon vraiment efficace de ne plus en transporter
serait de ne plus en consommer, comme le recommandent certain-e-s. Mais avez-vous
déjà seulement vraiment essayé de convaincre votre famille,
vos ami-e-s, vos collègues, vos voisin-e-s, de ne plus jamais boire
une goutte de café ? ni de consommer du cacao, de boire du thé,
de consommer des épices, de porter du coton, de manger des bananes,
des cacahuètes ou des pistaches, et bien entendu d'aller faire le plein
d'essence
Si oui et si vous avez réussi, cela nous intéresse
énormément de savoir comment vous avez fait ! Sinon, ce
n'est pas très étonnant, car à placer la barre trop haut,
il devient impossible de la franchir
D'autre part, les cultivateurs/trices de café sont souvent tellement
accablé-e-s de travail qu'ils et elles n'ont plus la possibilité
d'assurer une culture locale vivrière. Imaginons un instant que les
paysan-ne-s français-e-s cultivent exclusivement des fraises pour les
envoyer en Amérique latine, en étant bien sûr sous-payé-e-s
et avec des conditions de travail très éprouvantes ! Inversement
des rôles un peu dérangeant non ?
Alors, puisque l'arrêt de la consommation de café (pour ne parler
que du café) semble pour l'heure impossible autrement qu'à une
échelle ultra-individuelle, rappelons que le commerce équitable
ne se limite pas uniquement à acheter des marchandises à un
prix plus juste (généralement fixé par les producteurs/trices),
mais qu'il touche également les conditions de travail, qu'il prend
en compte l'écologie, que les commandes sont payées comptant
et que les contrats sont passés sur le long terme. Les retombées
positives sont aussi le dégagement de bénéfices permettant
parfois la scolarisation des filles, l'organisation de cours du soir, de formations,
le dégagement de micro-crédits, d'avoir suffisamment de temps
pour les cultures vivrières familiales, etc. Toutes ces actions sont
des moyens de mieux maîtriser sa vie, ce qui signifie également
d'augmenter la capacité à se dégager de la formidable
pression qu'exercent nos pays (que nous exerçons !) sur les pays
plus pauvres économiquement. À l'heure et avec la situation
actuelles, le commerce équitable est peut-être une des seules
alternatives réalisable susceptible d'améliorer sensiblement
la vie de millions de personnes.
De plus, la consommation à un prix plus juste augmentant généralement
sensiblement le prix de vente du café en Occident, nous pouvons avoir
tendance à moins en consommer, donc à spontanément diminuer
la demande et la pression sur les pays producteurs et les importations (à
condition de jouer le jeu et de ne pas " économiser "
en achetant parfois du café bon marché !).
Une dernière critique sur le commerce équitable tient au rapport
d'argent. Si l'utopie d'une société idéale sans ce rapport
d'argent est extrêmement intéressante et que rien ne doit nous
empêcher d'y tendre, le décalage entre celle-ci et notre présent
est plus proche du gouffre insondable qu'autre chose ! Discréditer
le commerce équitable sur ce critère ne semble pas très
sérieux, pour ne pas dire que ça relève d'une position
dominante qui nous donne la possibilité de le remettre en question :
connaître l'avis des premier-e-s intéressé-e-s, les petit-e-s
producteurs/trices, à ce sujet serait du plus haut intérêt.
Nous avons parfois l'impression que la remise en question du commerce équitable,
quelqu'en soit le motif invoqué - ce qui va de : " ça
ne sert à rien ", " c'est du bidon "
à " je suis contre toute forme de commerce " -
est encore une solution de facilité pour ne rien faire. Si le commerce
équitable s'arrête aujourd'hui, n'est-ce pas plutôt encore
céder le pas et abandonner ce petit espace de plus juste équitabilité
au rouleau compresseur totalement destructeur des multinationales ? Ne
doit-on pas plutôt considérer que le commerce équitable,
tout commerce soit-il et avec ses limites que nous ne devons pas nier, est
une avancée vers un monde meilleurs ? Car si le commerce équitable
possède des disfonctionnements et qu'il n'est peut-être pas à
l'abri de " dérives ", une chose dont nous sommes
sûr-e-s, c'est que les mêmes produits vendus hors commerce équitables
sont à 100% issus de l'exploitation des producteurs/trices par les
entreprises !
Plutôt que de l'abandonner ou de le discréditer, améliorons
le système du commerce équitable, rendons-le toujours plus équitable,
en payant toujours mieux les producteurs/trices et en acceptant de payer le
juste prix des marchandises ; privilégions ici aussi les petites
boutiques aux grandes surfaces pour acheter Fair Trade, et si nous le pouvons,
alors oui, diminuons ou arrêtons notre consommation de produits importés,
en commençant par ceux
qui ne sont pas fair trade !
Clem
Pour en savoir plus sur le fonctionnement et les objectifs
du commerce équitable :
Plate-Forme pour le Commerce Équitable (EFCE) 61, rue Victor
Hugo, 93500 Pantin
tél : 01.48.91.20.75 / fax : 01.49.42.93.23
e.mail : plate-forme@commercequitable.org
http://www.commercequitable.org
http://www.artisansdumonde.org
Rappel : Première boutique Artisans du Monde en France :
1974. Aujourd'hui, Artisans du Monde, c'est : 97 points de vente en France,
plus de 2 500 bénévoles, 1 600 produits commercialisés
en provenance de plus de 40 pays.
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