Journal 2, printemps 2003
éditorial
• L'esprit de Tsampa équita : le commerce équitable
projet " carnets en papier recyclé "
projet " livre sur l'histoire du Tibet "
une turbine en Himalaya
les Tibetan Children's Village
parrainages
des-information scientifique (suite du n°1)
brèves
autres activités de Tsampa équita


journal n°2
5,1Mo
photo: vendeuse au TWO
L'esprit de l'association
Tsampa équita & le commerce équitable

Aujourd'hui, alors que le commerce équitable tend à percer le bout de son nez après une trentaine d'années d'existence, c'est aussi l'heure des questions. Peut-être, comme nous, avez-vous déjà lu quelque article ou participé à une discussion à ce sujet ; c'est en tout cas à la suite d'échanges et de lectures que Tsampa équita estime intéressant et opportun de rendre compte de ses positions et réflexions.
Lors de sa création, Tsampa   équita a choisi de soutenir le commerce équitable, afin que, ici ou là-bas, les petits groupes de producteurs puissent vivre de leur travail. Un article pour en faveur café équitable en provenance du Chiapas, au Mexique, a été diffusé dans le journal n°1. Aujourd'hui, Tsampa équita mène une action afin d'importer de Macleod Ganj (Himalaya indien) des articles en papier recyclé et de les vendre en France de façon équitable.
Ce projet est issu de la demande locale de Mr. Tsering Kyi, directeur du Tibetan Welfare Office (TWO) de Macleod Ganj, que nous avons rencontré en avril 2002. Le TWO comprend une salle d'information sur les déchets et l'environnement, un " Green Shop " (boutique écologique) où on peut acheter, entre autres, de l'eau filtrée et rapporter ses piles usagées, une bibliothèque, des conférences, des débats et des fêtes… Le TWO organise le tri sélectif à Macleod Ganj, il récupère et revend plus de 20 tonnes de déchets par an. Un atelier papier recyclé est le fer de lance du lieu, seul centre écologique à des centaines de km à la ronde. Le personnel du TWO, soit une trentaine de personnes, est quasi uniquement composé de réfugié-e-s Tibétain-e-s, dont certain-e-s sont en difficulté sociale. Le centre, où l'ambiance est bonne et le travail détendu et créatif, joue pour elles et eux un rôle socio-économique de premier ordre. Rappelons que les réfugié-e-s Tibétain-e-s ne possèdent pas de terre en Inde. Beaucoup sont au chômage, les autres travaillent dans la restauration, les boutiques de souvenirs, à la création d'artisanat, sur les chantiers…
Le TWO fonctionne grâce à des subventions (pays occidentaux et Inde), à la vente des déchets aux entreprises de recyclage et à la vente des produits de l'atelier papier recyclé.
Celui-ci produit des carnets de formats différents, du papier à lettre et des enveloppes. 80% des achats est réalisé par les touristes, dont le nombre est impor-tant et même croissant (rappelons qu'à Macleod Ganj résident le Dalaï lama et le gouvernement tibétain en exil). La production est supérieure à la demande, et c'est pour écouler ces stocks d'invendus que Mr. Kyi nous a demandé s'il ne serait pas possible de créer un marché en Occident. L'idée nous a semblé intéressante, et bien entendu inconcevable hors le commerce équitable.
Mais deux questions se posent par rapport à ce projet : d'une part, pourquoi importer des articles qui peuvent être fabriqués (sinon fabricables) en France ; et quel sens cela a-t-il d'importer des produits écologiques ? C'est-à-dire que nous devons nous poser la question de l'incohérence de transporter (= consommation d'énergie fossile polluante et génératrice de conflits) un produit écologique (= sauvegarde de l'énergie). Dissocions ces deux problématiques pour mieux y répondre, même si elles sont évidemment liées.

S'il existe déjà sur le marché français de beaux carnets en papier recyclé, leur origine reste souvent (pour ne pas dire toujours !) mystérieusement floue : " Népal ", " Chine ", " Himalaya ", lit-on souvent, et les boutiques qui les proposent à la vente ne sont guère réputées pour être des adeptes du commerce équitable - malgré un jeu d'apparences parfois élaborés sur les concepts prometteurs de voyage, de découverte et de nature. Nous pensons que proposer en concurrence via les réseaux du commerce équitable des carnets ou des feuilles de correspondance en papier recyclé et dont on est certain que " fabrication " ne rime pas avec " exploitation " a son intérêt.
Et quand bien même des carnets similaires seraient produits en France (ce qui n'est pas encore le cas à notre connaissance), nous ne pensons pas que cela doive signifier la fin de ce projet : le TWO n'est pas en mesure de produire autre chose que ces articles en papier recyclé, et le succès de leur vente est directement synonyme d'autonomie financière pour le centre. Favoriser celle-ci n'est-il pas plus constructif que de lui attribuer uniquement des subventions, ce qui, dans ce cas surtout où une autre ressource de revenu est possible et souhaitée par les producteurs, relève de l'assistanat ? D'autant plus qu'il semble très difficile d'augmenter sensiblement la vente locale : les produits concernent indéniablement certains usages, comme la correspondance ou les cadeaux, ce sont de " beaux objets ". Leur prix est trop élevé pour remplacer, par exemple, l'usage courant des cahiers scolaires (n'oublions pas cependant que 20% des achats sont réalisés par la population locale) : un cahier scolaire vaut à peine Rs.10 ; les carnets du TWO coûtent en moyenne dix fois plus cher. C'est peut-être dommage, la " démocratisation " du papier recyclé étant évidemment souhaitable. Mais les modestes moyens, la fabrication totalement artisanale du TWO ne lui permettent pas de fabriquer des cahiers bon marché qui pourraient servir en classe. D'autre part, il est peut-être culturellement inconcevable, autant en France qu'en Inde d'ailleurs, qu'un-e élève prenne ses leçons sur d'aussi beaux carnets ; autrement dit, même à un prix vraiment moindre, ces carnets resteraient réservés à certaines circonstances particulières. Notons quand même que les enveloppes en papier recyclé du TWO coûtent à peine plus cher que les autres. Les produits recyclés se trouvent au Green Shop et sur les nombreux stands de rue tenus par des Tibétain-e-s ou des Indien-ne-s, qui achètent des lots d'articles au TWO et les revendent en se faisant une marge. De nombreuses personnes extérieures au TWO ont ainsi un moyen de survie grâce à son existence. La situation actuelle du TWO est néanmoins que sa production est supérieure à ses ventes.
La question du transport, de l'écobilan, est également intéressante. Effecti-vement, la phrase " importer des produits écologiques " contient une incohérence assez flagrante. Importer des patates cultivées " bio " finit par en faire un produit bien peu écologique, et est-ce vraiment nécessaire de consommer des fruits ou légumes hors-saison, même " bio ", s'ils viennent d'Argentine ou du Maroc ?! " Elles ont fait plus de 10 000km ", m'a dit fièrement - et à mon grand dépit - le vendeur d'une petite boutique bio à propos de poires, en mars dernier.
Mais, pour en revenir à notre projet, dans ce cas précis, ne vaut-il pas mieux accepter cette regrettable incohérence si elle permet au TWO de se développer de façon plus autonome ? Plus concrètement, le transport, négatif aux niveaux écologiques et énergétiques, d'une palette d'articles ne vaut-elle pas l'impact positif, socialement et économiquement, sur ce centre écologique ? Car il ne s'agit pas non plus pour Tsampa équita de faire des centaines de transports !
Mais la même question du transport se pose évidemment pour tous les produits du commerce équitable. Prenons l'exemple classique du café. La seule façon vraiment efficace de ne plus en transporter serait de ne plus en consommer, comme le recommandent certain-e-s. Mais avez-vous déjà seulement vraiment essayé de convaincre votre famille, vos ami-e-s, vos collègues, vos voisin-e-s, de ne plus jamais boire une goutte de café ? ni de consommer du cacao, de boire du thé, de consommer des épices, de porter du coton, de manger des bananes, des cacahuètes ou des pistaches, et bien entendu d'aller faire le plein d'essence… Si oui et si vous avez réussi, cela nous intéresse énormément de savoir comment vous avez fait ! Sinon, ce n'est pas très étonnant, car à placer la barre trop haut, il devient impossible de la franchir…
D'autre part, les cultivateurs/trices de café sont souvent tellement accablé-e-s de travail qu'ils et elles n'ont plus la possibilité d'assurer une culture locale vivrière. Imaginons un instant que les paysan-ne-s français-e-s cultivent exclusivement des fraises pour les envoyer en Amérique latine, en étant bien sûr sous-payé-e-s et avec des conditions de travail très éprouvantes ! Inversement des rôles un peu dérangeant non ?
Alors, puisque l'arrêt de la consommation de café (pour ne parler que du café) semble pour l'heure impossible autrement qu'à une échelle ultra-individuelle, rappelons que le commerce équitable ne se limite pas uniquement à acheter des marchandises à un prix plus juste (généralement fixé par les producteurs/trices), mais qu'il touche également les conditions de travail, qu'il prend en compte l'écologie, que les commandes sont payées comptant et que les contrats sont passés sur le long terme. Les retombées positives sont aussi le dégagement de bénéfices permettant parfois la scolarisation des filles, l'organisation de cours du soir, de formations, le dégagement de micro-crédits, d'avoir suffisamment de temps pour les cultures vivrières familiales, etc. Toutes ces actions sont des moyens de mieux maîtriser sa vie, ce qui signifie également d'augmenter la capacité à se dégager de la formidable pression qu'exercent nos pays (que nous exerçons !) sur les pays plus pauvres économiquement. À l'heure et avec la situation actuelles, le commerce équitable est peut-être une des seules alternatives réalisable susceptible d'améliorer sensiblement la vie de millions de personnes.
De plus, la consommation à un prix plus juste augmentant généralement sensiblement le prix de vente du café en Occident, nous pouvons avoir tendance à moins en consommer, donc à spontanément diminuer la demande et la pression sur les pays producteurs et les importations (à condition de jouer le jeu et de ne pas " économiser " en achetant parfois du café bon marché !).
Une dernière critique sur le commerce équitable tient au rapport d'argent. Si l'utopie d'une société idéale sans ce rapport d'argent est extrêmement intéressante et que rien ne doit nous empêcher d'y tendre, le décalage entre celle-ci et notre présent est plus proche du gouffre insondable qu'autre chose ! Discréditer le commerce équitable sur ce critère ne semble pas très sérieux, pour ne pas dire que ça relève d'une position dominante qui nous donne la possibilité de le remettre en question : connaître l'avis des premier-e-s intéressé-e-s, les petit-e-s producteurs/trices, à ce sujet serait du plus haut intérêt.
Nous avons parfois l'impression que la remise en question du commerce équitable, quelqu'en soit le motif invoqué - ce qui va de : " ça ne sert à rien ", " c'est du bidon " à " je suis contre toute forme de commerce " - est encore une solution de facilité pour ne rien faire. Si le commerce équitable s'arrête aujourd'hui, n'est-ce pas plutôt encore céder le pas et abandonner ce petit espace de plus juste équitabilité au rouleau compresseur totalement destructeur des multinationales ? Ne doit-on pas plutôt considérer que le commerce équitable, tout commerce soit-il et avec ses limites que nous ne devons pas nier, est une avancée vers un monde meilleurs ? Car si le commerce équitable possède des disfonctionnements et qu'il n'est peut-être pas à l'abri de " dérives ", une chose dont nous sommes sûr-e-s, c'est que les mêmes produits vendus hors commerce équitables sont à 100% issus de l'exploitation des producteurs/trices par les entreprises !
Plutôt que de l'abandonner ou de le discréditer, améliorons le système du commerce équitable, rendons-le toujours plus équitable, en payant toujours mieux les producteurs/trices et en acceptant de payer le juste prix des marchandises ; privilégions ici aussi les petites boutiques aux grandes surfaces pour acheter Fair Trade, et si nous le pouvons, alors oui, diminuons ou arrêtons notre consommation de produits importés, en commençant par ceux… qui ne sont pas fair trade !

Clem

Pour en savoir plus sur le fonctionnement et les objectifs du commerce équitable :
• Plate-Forme pour le Commerce Équitable (EFCE) 61, rue Victor Hugo, 93500 Pantin
tél : 01.48.91.20.75 / fax : 01.49.42.93.23
e.mail : plate-forme@commercequitable.org http://www.commercequitable.org

http://www.artisansdumonde.org

Rappel : Première boutique Artisans du Monde en France : 1974. Aujourd'hui, Artisans du Monde, c'est : 97 points de vente en France, plus de 2 500 bénévoles, 1 600 produits commercialisés en provenance de plus de 40 pays.


La production du TWO répond aux critères du commerce équitable, tels qu'ils sont définis par Artisans du Monde : les droits de la personne humaine au travail sont respectés, ainsi que l'identité culturelle des salarié-e-s ; et le TWO : l agit pour le développement de la communauté, l respecte autant que possible l'environnement dans la production, le transport et l'utilisation des matières premières, l possède et recherche des débouchés locaux afin de ne pas devenir dépendant des marchés extérieurs, l est transparent par la diffusion d'information sur ses activités et son fonctionnement.

Que ce soit dans le commerce équitable ou le soutien de projets locaux, l'inaction est la porte ouverte à l'exploitation. EDF international et autres multinatio-nales n'ont pas de scrupule ; elles ne tiennent compte de l'environnement, ni des conditions de vies locales, ni de l'impact à moyen ou long terme de leurs interventions : seul leur profit compte. Alors, faut-il renoncer à encourager les alternatives sincères, mêmes si celles-ci ne sont, évidemment, pas toujours infaillibles ou parfaites ?